Depuis 2016, l’université de Dublin s’est engagée dans un programme de trois ans pour devenir une université complètement accessible aux personnes autistes. En mars dernier, l’université a été désignée comme la première université « autism-friendly » par l’organisation Irlandaise « AsIAm ».

J’ai eu la chance de rencontrer le Dr Cat Hughes, la coordinatrice de ce projet, d’avoir discuté et échangé avec elle pendant un long moment. Je la remercie infiniement pour m’avoir expliqué ce projet avec tant de détails et pour avoir répondu à toutes mes questions.

Aujourd’hui en France, avec de plus en plus d’élèves autistes qui obtiennent leur baccalauréat et accèdent aux études supérieures, nous commençons nous aussi à nous interroger sur l’accessibilité de nos universités à ces étudiants. Dans un tel contexte, je pense que ce qui se fait à l’université de Dublin doit plus que jamais, nous inspirer et nous servir de modèle.

J’ai demandé au Dr Cat Hughes si je pouvais traduire et publier les réponses à mes questions, chose qu’elle a immédiatement acceptée. Je vous laisse donc prendre connaissance du projet.


 

Pouvez-vous me présenter ce projet d’université « autism-friendly » en quelques mots ? Comment le projet a-t-il commencé ?

L’université « autism-friendly » s’appuie sur 8 principes. Ces 8 principes peuvent être divisés grossièrement en 3 catégories : aider les personnes à faire la transition du lycée vers l’université, adapter l’environnement ainsi que la culture de l’école, de sorte que l’autisme soit accepté et enfin aider les personnes à trouver leur place dans le monde du travail une fois leur cursus universitaire terminé.

Le projet a été démarré par AsIAm ainsi qu’une chercheuse, Mary Rose Sweeney qui a mené une grande étude sur comment aider les étudiants autistes. Voici le rapport de recherche : https://www.dcu.ie/sites/default/files/president/autsim_friendly_report_no_crops.pdf.

Combien d’étudiants autistes l’université accueille-t-elle ?

Cela est difficile à dire. Nous savons que 50 étudiants se font connaître auprès du service handicap de l’université chaque année, mais nous savons également que beaucoup ne dévoilent pas leur handicap. Plusieurs étudiants dans cette situation sont venus me voir pour discuter du projet, ce qui est fantastique.

Quelles sont vos activités en tant que coordinatrice ?

Un petit peu de tout ! Je rencontre les étudiants et leur famille pour savoir ce dont ils ont besoin. J’aide à former le personnel. Je prends des décisions pour modifier l’environnement - de la couleur de la peinture sur les murs à la création de lieux calmes. Enfin, je siège à des groupes de pilotage pour aider l’université à prendre les décisions les plus inclusives possibles.

Quels sont les principaux aménagements qui ont été mis en place au sein de l’université ?

Il y a beaucoup d’aménagements qui sont déjà, historiquement, mis en place pour les étudiants comme du temps supplémentaire. Des salles d’examen individuelles, des salles avec les lumières éteintes, etc, sont également disponibles.

Je pense que le principal nouveau changement est la possibilité d’impliquer les parents de façon plus importante par rapport aux parents des autres étudiants. Également, une partie de mon travail est de devenir une personne de référence pour les étudiants lorsqu’ils sont anxieux ou qu’ils veulent parler de quelque chose avec le même esprit que s’ils étaient chez eux.

Les aménagements indirects ont également prouvé leur efficacité. Former les enseignants a un réel impact pour les étudiants parce que les professeurs réfléchissent maintenant à comment ils peuvent adapter leurs cours et les travaux qu’ils donnent à faire. Heureusement, cela signifie que sur le long terme, nous aurons besoin de faire moins d’aménagements spécifiques pour les personnes autistes, car le personnel va naturellement s’adapter à ce public.

Quel est le processus pour déterminer quels sont les aménagements dont les étudiants ont besoin ?

Cela dépend des aménagements. Pour les choses en rapport avec les examens, les étudiants ont besoin d’un diagnostic et ont besoin de se faire connaître auprès du service handicap de l’université. Pour les autres choses, comme accéder aux « Pods sensoriels », les étudiants n’ont pas besoin de diagnostic ou de se faire connaître. J’essaie de limiter au maximum le stress vécu par les étudiants lorsqu’ils annoncent leur diagnostic.

En France, lorsque nous demandons des aménagements pour les personnes autistes, nous avons toujours des gens pour dire que si nous faisons quelque chose pour les personnes autistes, nous devons faire quelque chose pour les autres personnes handicapées - ce qui est normal. Le fait est que finalement, rien n’est fait pour personne. Rencontrez-vous également cet obstacle en Irlande ?

Oui nous avons également ce problème ici. Je pense qu’il y a des croisements entre ce qui est bénéfique aux personnes autistes et ce qui est bénéfique à la population en général. Je pointe souvent l’anxiété comme illustration de cela. Beaucoup d’adaptations faites pour les personnes autistes sont également bénéfiques pour les personnes qui sont anxieuses ou qui ont des migraines à cause de l’environnement sensoriel, etc.

Je pense que les personnes sont confuses à propos de la définition de conception universelle (ndlt : « universal design »), et je pense que les aménagements doivent être universels pour être utiles à tout le monde. Je suis parfois frustrée de voir que le soutien apporté aux personnes autistes n’est pas suffisant. Je pense qu’avoir un membre du personnel autiste comme moi qui peut expliquer cela a réellement ouvert les yeux de certaines personnes.

Quels obstacles avez-vous rencontrés pour créer une université « autism-friendly » ?

Pas beaucoup, pour être honnête. Il y a eu un grand enthousiasme pour le projet au sein de l’université et le personnel était vraiment désireux de s’impliquer et d’apprendre. Je ne pouvais rien leur demander de plus.

Je pense que la plus grande difficulté a été la préoccupation que nous ne ferions qu’uniquement cocher quelques cases pour accomplir le projet, sans que cela ait un impact significatif pour les étudiants. J’ai réellement été impressionnée par la façon dont le personnel de l’université de Dublin prend soin des étudiants. Ils avaient peur de promettre quelque chose qu’ils n’allaient pas être capables de fournir. Je pense que beaucoup de monde a réalisé qu’il y a eu une réelle marche de franchie pour créer l’environnement et la culture la plus tolérante et accueillante pour les personnes autistes. Beaucoup de préoccupations ont donc maintenant disparues.

Je ne peux même pas considérer cela comme une barrière parce que les inquiétudes concernaient les étudiants, ce qui est quelque chose que nous partageons tous !

Quel est l’élément essentiel pour réussir à rendre une université « autism-friendly » ?

Je pense que la chose la plus importante est l’écoute. Il est essentiel de prendre le temps pour apprendre à connaître les étudiants, et de ne pas leur imposer nos idées. Également, écouter le personnel nous dire ce qu’ils font pour les étudiants autistes et voir là où ils ont besoin d’un soutien supplémentaire. Ces deux éléments prennent du temps, mais ils montrent la volonté et le niveau d’engagement que l’université est prête à donner aux étudiants.

Que faites-vous pour permettre aux étudiants de participer aux activités organisées en dehors des cours ?

Les étudiants eux-mêmes sont géniaux pour tenir compte des besoins de leurs camarades autistes. J’ai rencontré des étudiants qui ont mis en places des bonne pratiques. Par exemple, ils ont conçu des posters listant des choses à faire pour rendre ces événements plus accessibles aux personnes autistes. Je pense que c’est merveilleux que les étudiants autistes aient accès à un plus grand nombre d’événements et que nous leur montrions qu’ils sont les bienvenus.

En même temps, je ne veux pas mettre les étudiants sous pression, pour qu’ils se sentent obligés de socialiser. Je pense que pour beaucoup d’entre nous, nous pouvons nous concentrer sur les cours ou sur la vie sociale - trouver le bon équilibre est très dur, et je ne veux pas que les étudiants se sentent obligés de faire les deux s’ils n’ont pas l’énergie pour cela. L’« occupational therapy » est un bon moyen pour aider les étudiants à trouver cet équilibre, et c’est quelque chose que nous fournissons aux étudiants qui se sont fait connaître.

Avez-vous des relations avec les services qui gèrent les logements étudiants ou la cafétéria ? Si oui, quels aménagements ont été mis en place ?

« Gateway Student Accommodation » (ndlt: équivalent du CROUS en France) ont été très volontaires depuis le début pour savoir ce qu’ils pouvaient faire. Ils sont continuellement en train de s’assurer qu’ils font tout ce qu’ils peuvent faire pour les étudiants autistes.

Pour la cafétéria, certaines sont plus calmes que d’autres et plus confortables. Notre grande cantine est encore difficile à supporter pour les étudiants autistes. Les étudiants nous demandent des espaces extérieurs protégés pour manger, c’est donc quelque chose que nous allons considérer pour la prochaine phase du projet.

Comment les étudiants sont-ils aidés pour trouver un stage ou un emploi ?

Nous avons un super service d’orientation qui a déjà été formé à l’inclusion des personnes autistes. Ils ont continué de se former tout au long du projet et ont pris beaucoup d’initiatives pour mettre en place des espaces calmes lors des forums pour l’emploi, etc.

Également, nous avons un service qui travaille pour aider les étudiants à trouver des stages. Ils ont été formés et certains ont une expérience directe de l’autisme. Ils sont donc très sensibles aux besoins des étudiants. Nous avons également des liens avec Specialisterne qui est une organisation qui aide les étudiants à passer de l’université au monde du travail. J’ai été contactée par de nombreux employeurs qui souhaitent rendre leur processus de recrutement plus « autism-friendly ». J’ai donc discuté des changements qu’ils peuvent faire que ce soit pour rédiger les annonces qu’ils publient, pour organiser les entretiens d’embauche ou pour répondre aux besoins de leurs employés.

Tous ces éléments combinés aident à rendre la transition vers le monde du travail plus facile pour nos étudiants.